La diversité des supports

L’organisation du fonds, support du projet de musée, est le fruit d’une collaboration tripartite entre l’A.S.S.E., les A.M.S.E. et l’U.J.M. Consultable aux A.M.S.E., il finalise un vaste travail de classement et de conditionnement. Si le panel des archives, aujourd’hui centralisées dans un répertoire numérique régulièrement réactualisé(15), intéresse par sa diversité matérielle et temporelle, l’intérêt de ce fonds tient aussi au fait qu’il est, pour l’heure, le seul en France conservé dans un service public d’archives.

C’est sur cette base que nous nous sommes appuyés afin d’étudier les documents disponibles, tout en les recodant en six catégories de manière à les différencier de façon précise. Ainsi, diverses entrées permettent de classer la variété d’unités détenues. L’iconographie rassemble des photos, négatifs, diapositives, caricatures, affiches, posters, autocollants, cartes postales et autres vidéos. L’administration concerne tout ce qui procède de l’activité interne du club. Les publications regroupent revues, journaux, ouvrages et autres plaquettes éditées par l’A.S.S.E., pour le public. Si les objets sont définis par ce qui n’a jamais été vendu (trophées, médailles, plaques, fanions de match, vêtements internes), la catégorie merchandising, elle, s’applique aux biens vendus tels que des fanions de supporters, des drapeaux, des disques, mais aussi des produits aussi hétéroclites qu’insolites : bretelles, pin’s, savons, désodorisants, bouteilles d’eau de vie, etc. Enfin, les témoignages incluent les entretiens oraux, lettres de supporters et correspondances personnelles de joueurs et d’entraîneurs.

Chaque cote a été comptabilisée comme une unité, mais une précaution méthodologique s’impose et empêche la confrontation des différents types d’archives entre eux. En effet, le classement juxtapose des cotes difficilement comparables, puisque celles-ci peuvent être attribuées aussi bien à une seule photographie qu’à un groupement de dossiers administratifs. Ainsi, pour éviter que des biais issus de l’énumération surabondante de cotes allouées à des archives uniques ne viennent fausser la perspective, l’analyse devait donc être effectuée selon d’autres critères.

C’est d’abord la période mise en lumière qui a retenu notre attention, à travers le croisement de l’année avec le type de l’archive(16). Là aussi, prudence et rigueur s’imposent avant de s’engager dans l’administration de la preuve. Il faut dire que le travail archivistique est loin d’être simple, lorsque des éléments se révèlent difficilement datables. Or certains se sont immiscés dans le fonds. Certes peu nombreux, ils sont pourtant bien réels, identifiables par des tranches d’années qui les situent dans le temps. Si le traitement de ce type de cote n’est point aisé, le choix a été fait de comptabiliser l’ensemble des années pour ce type de cote, tout en veillant à ce que les tranches déterminées couvrent réellement la période considérée. Ces précisions méthodologiques apportées, venons-en aux résultats.

Entre 1927 et 1976, l’importance des archives consultables ne cesse d’augmenter. De 1927, année où le club omnisports de l’A.S. Casino fusionne avec l’Amicale Sporting Club pour donner naissance à l’Association Sportive Stéphanoise (« A.S.S. »), laquelle devient A.S.S.E. en 1933, à 1976, année de « l’épopée verte », l’ascension est impressionnante. Entre sa naissance et sa finale de Coupe d’Europe des Clubs Champions perdue contre le Bayern Munich, le club passe d’une visibilité locale à une reconnaissance internationale.

Puis s’engage une période où les archives sont moins nombreuses. Exception faite du début des années quatre-vingts où l’A.S.S.E. est installée sur les sommets (3ème de Division 1 en 1980, champion et finaliste de la Coupe de France en 1981, vice champion et finaliste de la Coupe de France en 1982), l’importance des archives disponibles décroît fortement de 1976 à 1984. La période est sombre pour le club, mis à mal par la nébuleuse affaire de la « caisse noire » en 1982(17). Ternie, décriée, dégradée, l’A.S.S.E. doit se relever.

Une phase de reconstruction s’impose alors, période dont le point culminant apparaît en 1999. Dans la lignée de la Coupe du Monde 1998, cette date n’est autre que l’année du titre de Champion de France de Division 2, synonyme de remontée au plus haut niveau français. Au sein de ce découpage apparaît cependant une zone temporelle plus trouble, entre 1990 et 1997. L’A.S.S.E. navigue alors dans les profondeurs du classement de Division 1, descendant d’un échelon au terme de la saison 1995-1996 et flirtant même avec la relégation au niveau inférieur les deux saisons suivantes. Depuis 1999, les archives se font plus rares, l’actualité sportive n’étant que peu glorieuse, ainsi que l’illustrent, au début des années 2000, les trois saisons successives passées en Ligue 2(18). Sans doute aussi, la transformation du statut juridique du club qui passe de l’Association, à la S.E.M.S. et surtout à la S.A.O.S. et à la S.A.S.P. privatise, « intimise » le fonds qui appartient en propre à l’entreprise et perd ainsi de sa capacité de divulgation publique.

Finalement, les archives recueillies s’axent prioritairement sur les périodes fastes de l’histoire du club, liant de fait actualité sportive et actualité médiatique(19). Mentionnons en ce sens que les « pics » de 1976 et 1999 ne sont pas le fait des archives dites « organiques », c’est-à-dire procédant de l'activité interne du club, mais de photos récupérées, achetées par ses dirigeants. Or il est évident que les commanditaires sont plus attirés par les documents relatant les périodes prospères. Mais, si l’année de l’archive attire rapidement l’œil, un deuxième questionnement s’impose afin de cerner davantage le fonds.
Qui est à l’initiative des dépôts, versements ou dons d’archives ? Pour répondre à cette interrogation, le type de l’archive a été croisé avec son origine(20). Le résultat ne fait ici aucun doute : c’est bien le club qui alimente majoritairement le recueil d’archives, et ce quel que soit le type de ces dernières. L’A.S.S.E. ne semble donc manifester aucune volonté de dissimulation. Certes, les archives les plus troublantes ou couvrant les périodes les moins glorieuses sont peu nombreuses et parfois incomplètes. Pourtant, certaines « pièces » sont bien présentes, disponibles, ainsi qu’en témoigne la collection des procès-verbaux des assemblées générales et conseils d’administration de 1959 à 1996, dont 42 pages pour le 8 décembre 1982, date paroxystique de l’affaire de la « caisse noire » !

Dans une proportion moindre, une remarque s’impose concernant les archives privées, issues de particuliers. À l’évidence, sans musée, l’attractivité médiatique de l’A.S.S.E. se révèle insuffisante pour toucher le grand public et les collectionneurs. Le musée constitue dans cette voie un instrument médiatique de labellisation, pouvant créer un « appel d’air » pour d’autres dons et dépôts. Tel est le cas outre Manche, à Manchester-United, club au palmarès national et international (dix-huit fois champion de Première League, trois fois vainqueur de la Champion’s League et une fois de la Coupe Intercontinentale(21)), où les premières donations privées sont devenues signifiantes suite à l’ouverture du musée, le 1er mai 1986. Autre point d’appui, à Marseille, où ce sont surtout les supporters qui font office d’archivistes du club, bien que celui-ci soit particulièrement sensible à son histoire depuis l’arrivée de Pape Diouf à la présidence, en 2004. La visibilité s’avère essentielle au développement d’un club et de son musée, tout comme il est évident qu’elle s’en nourrit. Ce n’est d’ailleurs que depuis les Journées du Patrimoine de 2006 que l’A.S.S.E. et les A.M.S.E. reçoivent des dons de particuliers.

Enfin, un dernier point mérite réflexion : comment sont collectées les archives ? La provenance de celles-ci illustre leur complémentarité et rend compte de positions différentes en fonction de l’origine(22). Les archives privées sont globalement issues de dons. Si celles qui sont publiques proviennent des versements des fonds municipaux (les délibérations du Conseil Municipal, les dossiers de subventions, de contentieux ou de constructions), il en va tout autrement pour les archives issues de l’A.S.S.E. En effet, dans l’optique du musée, le club s’est exclusivement engagé sur un dépôt. Selon l’article 1915 du Code civil : « Le dépôt, en général, est un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature ». Il s’agit donc de la seule forme de remise n’entraînant pas transfert de propriété, puisque le dépôt est un contrat par lequel le déposant confie son bien au dépositaire, qui accepte de le garder… tout en s’engageant à le lui restituer, si demande en est faite. Les raisons sont doubles. Si d’abord, le projet de musée doit permettre de récupérer rapidement les archives disponibles, force est d’admettre par ailleurs que l’A.S.S.E. évolue dans un univers sportif où le contentieux ne surprend plus. Le club a donc pris ses précautions quant aux conditions de dépôt, notamment du point de vue de la communication. Son accord préalable et écrit est ainsi nécessaire pour consulter ou reproduire les archives. Le club peut également demander à percevoir des droits. À n’en pas douter, le prisme muséal est ici dessiné, l’intérêt de l’A.S.S.E. se révélant à la fois médiatique et commercial, ce qui n’est pas le cas pour les autres institutions et les autres acteurs qui occupent une position parfois divergente, parfois convergente.