Le stade Geoffroy-Guichard et les Verts

Elise Laplace, institutrice à partir des années 1940 à Saint-Etienne et dans les alentours, raconte son enfance et ses souvenirs "footballistiques".

Geoffroy Guichard et les Verts? Une longue histoire d'amour entre les Stéphanois et le foot.

Mon père, ancien joueur du CO Saint-Chamond avant et après la guerre 14-18, me conduisit au stade dès mon enfance.

Il parlait de l'ASS, même lorqu'elle devint l'ASSE, comne tous les spectateurs de cette époque. Il faut dire l'ASS est bien plus harmonieux à l'oreille que ASSE ... et je dis toujours ASS!

Geoffroy Guichard - que bien des Stéphanois appelaient Géoffroy Guichard - était bien différent de ce qu'il est aujourd'hui. Quand on avait franchi les guichets de l'entrée, on accédait à l'espace "spectateurs".

Entourant le terrain bordé par une piste d'athlétisme, on trouvait, à l'ouest, la tribune centrale flanquée de 2 tribunes latérales (places assises en gradins), un plan incliné en terre battue, dit "les populaires", entourait les restes du grillage qui limitait l'espace sportif. C'est là que nous allions près des buts Sud. Sur la partie Est, face aux tribunes situées à l'ouest, fut construite la tribune Henri Point où les spectateurs se tenaient debout. Près de cette tribune, à l'extérieur du stade, au Nord, étaient installées les Aciéries Bedel.

Je n'ai jamais vu fumer leur cheminée les jours de match, ce qui permettait à certains spectateurs de dire : "je viens au match pour respirer un bol d'air pur".

Derrière les populaires Sud, était un autre terrain où avaient lieu des matchs en lever de rideau.

Les spectateurs d'alors étaient bien différents du public d'aujourd'hui. Ils appréciaient le jeu, mais avec retenue. On entendait des clameurs pour un but marqué ou raté. Il y avait aussi des sifflets qui le plus souvent visaient Yvan Beck. C'était un buteur exceptionnel mais aussi un bringueur célèbre. Quand il avait passé la nuit à faire la fête, même les veilles de match, il avait parfois les jambes en coton. Qui aurait pensé qu'il deviendrait un grand Résistant ?

Parmi ses coéquipiers on trouvait beaucoup d'étrangers tels que Odry, Tax, Hess, Hermann mais aussi des Français : le blond alsacien Biéchert, Langillier, Cabannes, Pasquini, Rolhion, Snella. Le catalan René Llense, le gardien (on ne disait pas le goal) eut droit à une distinction particulière du public. A chaque dégagement, on entendait un retentissant "aaammm!"

On a oublié que, dans cette équipe-là, plusieurs joueurs ont été sélectionnés en équipe de France, mais leur carrière fut stoppée par la guerre. Biéchert ne revint pas de déportation. On n'entendit plus parler du Tchèque Hess, ni de l'Autrichien Hermann qui s'engagea dans l'armée allemande.

Elle fut aussi stoppée par le gouvernement de Vichy qui abolit le professionnalisme. Les joueurs durent trouver un emploi. C'est ainsi que René Llense devint moniteur à l'Ecole primaire supérieure de garçons rue des Chappes.

Ces hommes étaient simples. Ils n'étaient pas imbus de leur supériorité. On les voyait se rendre par le tram de la grande rue, à l'entraînement, au stade. Je revois M. et Mme Snella traverser en toute simplicité l'espace découvert qui est devenu le parking réservé du stade. Nul ne cherchait à les importuner.

L'exemple que je connais le mieux est celui de René Llense. Je l'avais croisé quelques fois à la boulangerie Granger, à côté des usines Leflaive. Il ne manquait pas d'y saluer les clientes. Lorsqu'il se consacra à son emploi de moniteur, il se rendait, à vélo, rue des Chappes. Il habitait alors Bel-Air. J'habitais dans la grande rue près des abattoirs et je faisais à pied qu'il neige, qu'il pleuve ou vente, le trajet qui me menait à l'EPS de filles rue Rouget-de-l'Isle. Nous avions donc une partie du trajet commune. A force de parcourir le même chemin, nous finîmes par échanger un bonjour, un signe de la main, quelques mots sur le temps, l'école en toute simplicité.

Sans doute avait-il toujours été ainsi dans la vie car, à Collioure, sa ville natale, sur un coteau ensoleillé face à la mer, près des vignobles, une rue porte son nom.

J'ai mené, il y a déjà quelques années un enfant au stade : il voulait voir jouer Alex. Ce fut pour moi une grosse déception, non parce que le match fut nul, mais par le déroulement de la soirée. J'eus du mal à supporter les cris - vraiment je suis d'une autre époque! La tribune contribue à éloigner du spectacle qu'autrefois que l'on avait tout près sur la terre battue.

Et pour finir, il m'a fallu, près d'une demi-heure, pour atteindre le goulet du passage qui permettait de sortir du parking, derrière le stade, dans des odeurs d'échappement. Ah, ce n'était plus le bol d'air pur dont parlaient les spectateurs de 1936!

La voiture plus néfaste que les aciéries! Tous ceux que j'ai connus à cette époque sont partis : joueurs, spectateurs. Je croyais que j'étais la seule avec mes souvenirs, lorque j'ai appris que la fille de Tax avait récemment, avec un groupe, visité le musée des Verts. Alors la légende perdure! Mais pourtant "comme le temps s'en va d'un pas précipité" écrivait Victor Hugo.

Elise Laplace

Avril 2015