Créer un musée du sport pour rester dans l'actualité médiatique : l'exemple de l'Association Sportive de Saint-Étienne
Pascal Charroin, maître de conférences, département STAPS-université Jean Monnet de Saint-Etienne, chercheur CRIS-université Claude Bernard Lyon 1
Cet article est tiré d'une intervention de l'auteur à un colloque d'histoire du sport en 2008.
L’Association Sportive de Saint-Étienne est l’un des plus grands clubs du football français, comme son palmarès l’atteste(1). Elle a enthousiasmé les supporters de l’Hexagone, notamment durant les années soixante-dix, au cours desquelles « l’épopée verte » est venue redorer le blason du sport français, alors bien terne.
Pourtant, depuis 1981, l’A.S.S.E. n’a plus remporté de titres majeurs. Pire, elle a connu à plusieurs reprises les affres de la Ligue 2 et a subi, de plein fouet, des scandales retentissants qui ont structurellement mis à mal sa compétitivité et sa crédibilité, tant sportive que financière (affaire de la « caisse noire », crise des « faux passeports »…). Néanmoins, le club n’a pas sombré dans l’anonymat et le « flamme verte » ne s’est jamais vraiment éteinte. La mythification du stade Geoffroy Guichard, baptisé « chaudron »(2), l’enthousiasme et la fidélité du public, tout comme l’attachement symbolique au « maillot vert » demeurent(3). Cela étant, d’autres clubs : Lyon(4), Bordeaux, Marseille ou Paris lui volent, aujourd’hui, la vedette sportive. Que ce soit dans la presse écrite, radiophonique, télévisée ou « informatisée », l’équipe verte ne fait plus la Une, sauf lorsqu’elle se confronte aux formations les plus en vue. Si elle conserve encore son rang chez les plus anciens, les jeunes, eux, se passionnent davantage pour le « haut du tableau », comme l’atteste la fréquentation des sites Internet officiels.
L’une des manières de contrer publiquement ces concurrents du présent consiste à convoquer le passé. Après plusieurs tentatives demeurées sans suite, les dirigeants du club ont ainsi pris date de la création du musée de l’A.S.S.E., en accord avec la communauté d’agglomération (« Saint-Étienne-Métropole »), le service d’Archives Municipales de Saint-Étienne (« A.M.S.E. ») et l’Université Jean Monnet (« U.J.M. »). « Entretenir la mémoire, commémorer, durer… en attendant des jours meilleurs » semble être le leitmotiv de la « patrimonialisation » tout azimut, dont les grands clubs étrangers se sont fait une spécialité depuis longtemps, mais en étoffant au présent, à la différence de l’A.S.S.E., leur palmarès sportif(5).
Cette étude a donc pour objet de s’interroger sur les conditions de convocation d’un passé pour rester dans l’actualité médiatique. Faute de ne pouvoir occuper l’espace sportif journalistique du présent, lié aux stricts résultats(6), le club tente en effet de mettre en valeur son patrimoine et sa mémoire. In fine, la communication déterminera les caractéristiques du lien entre la réalité médiatique et la réalité sportive, entre les espoirs entretenus et les résultats obtenus, entre le passé, le présent et l’avenir… autrement dit, s’interrogera sur les caractéristiques d’une culture sportive. Si dans les grands clubs étrangers, le musée n’est qu’un complément aux résultats sportifs, ici, il se substituerait à eux pour en compenser le manque d’attractivité. Dans une société où la médiatisation du présent s’accommode bien du caractère provisoire, temporaire et transitoire du sport, faire prospérer une démarche muséale, telle n’est pas la moindre des contradictions que les acteurs en charge du projet tentent de dépasser(7). Certes, il est évident, comme l’a montré Pierre Bourdieu, que la population qui fréquente les musées n’est pas la même que celle qui se rend dans les stades(8). Néanmoins, ce mariage entre culture populaire et culture cultivée, « classante » est possible. La présence même du terme « musée » vient offrir un label patrimonialisant distinctif. De plus, la place de la « Boutique des Verts », à la sortie du musée dans la maquette du projet, saura contenter le supporter lambda épris de merchandising. Lier une pratique considérée comme vulgaire à un usage distinctif est finalement l’une des préoccupations des acteurs du sport, faisant de l’histoire un outil de communication médiatique pour assoir une légitimité et rendre incontestable les usages du corps(9).
Plus simplement, nous tenterons de décrire les étapes d’une telle entreprise et de témoigner sur la naissance d’un projet de musée sportif, patrimoine encore marginal dans l’Hexagone. Pourtant, les perspectives de recherches scientifiques, et notamment historiques, qui mêlent analyse des archives de première main, des livres(10), des articles de presse, des témoignages oraux, des objets, des documents vidéo(11), de l’iconographie, etc. sont potentiellement riches de recensements et de catégorisations(12).
Dans un premier temps, nous retracerons les origines d’un tel projet ainsi que les conditions sine qua none de la « mise en patrimoine », qu’elle soit sportive ou pas. Dans un deuxième moment, nous mettrons en exergue la pluralité matérielle et temporelle qui caractérise le fonds archivistique. Enfin, nous déterminerons les enjeux sous-jacents à cette entreprise de « patrimonialisation », en fonction de la position occupée par les acteurs concernés.