Le monde ouvrier du textile en mutation
À ces hypothèses, qui comportent toutes leur part de vérité, nous pouvons en ajouter une dernière, sans puiser cette fois dans l’arsenal de « bonnes raisons » avancées par les contemporains des faits pour expliquer ces deux épisodes de violence. Pour tenter de les comprendre, il nous semble qu’il faut s’aventurer hors du terrain strictement politique, pour risquer un éclairage socio-économique.
Ces deux accès de violence coïncident avec des moments de crise économique ; mais surtout avec des étapes importantes de l’histoire sociale de la rubanerie. 1848 représente le moment où la Fabrique se ferme, et où les possibilités d’installation des chefs d’atelier comme fabricant de ruban se restreignent. Sans perspective d’ascension sociale, les passementiers aligneraient alors leurs comportements sur ceux du prolétariat ouvrier. Quant à 1900, on sait que la grève a été déclenchée par les compagnons sur la question du paiement de la mise en train ; leur syndicat, la Ligue pour le relèvement des salaires, y a tenu le premier rôle, alors que les syndicats plus anciens rassemblant les chefs d’ateliers sont restés en retrait. Cette position offensive des compagnons est une sorte de baroud d’honneur d’une profession condamnée à plus ou moins court terme : en effet, les relations chefs d’atelier / fabricants sont de plus en plus des relations d’employeurs à employés, où le compagnon n’a plus sa place. D’où à la fois, la salarisation des chefs d’atelier, et la disparition des compagnons.
La violence se trouve donc exacerbée dans ces époques de transition où la structure sociale et économique de la Fabrique se trouve ébranlée dans ses fondements. A contrario, dans un cadre socio-professionnel plus stable, c’est-à-dire la Fabrique quand elle fonctionne bien, ou l’usine avec des liens hiérarchiques clairs, on n’enregistre pas de dérapage de cet ordre.