Le tournant vers les aciers à haute valeur
Globalement la Loire est-elle en retard ? En 1878 et pour l'essentiel oui : le retard est sensible vis à vis des grands concurrents que sont Krupp ou le Creusot (3 fois la taille de Marine), où l'on dispose déjà du pilon de cent tonnes (1877), où l'on peut produire un lingot de 150 t (contre 40 pour Marine). Un ingénieur du Génie maritime, Joseph Barba, qui s'apprête à "pantoufler" au service de Schneider, admire le pilon servi par quatre fours Martin et par autant de grues de 150 t.
Mais ce retard n'est que passager et il n'est pas trop tard pour réagir : l'emblématique évolution de Marine, sous la direction d'Adrien de Montgolfier voit l'abandon, dans la Loire des productions courantes, déplacées au Boucau près des minerais riches de Bilbao, la spécialisation dans le matériel de guerre, incarné par le recrutement du Cdt. Mougin, ex-collaborateur de Séré de Rivière, chargé de concevoir des tourelles "clés en main" (1875), l'adoption du pilon de 100 t, des grands fours Martin améliorés par l'ingénieur Pernot (1880), l'achat du brevet et la fabrication consécutive de plaques Cammel-Wilson. Le temps des forgerons Petin et Gaudet est terminé : place au X-Ponts Adrien de Mongolfier, porteur d'autres logiques.
Tout semble se jouer dans les années 1880, lorsque l'expansion très rapide de la sidérurgie lorraine, où le million de tonnes est atteint en 1894, provoque l'extinction de la fabrication de rails et de poutrelles dans la Loire et son remplacement par les fabrications spéciales, notamment par celles liées à la guerre.
Francis Laur l'évoque clairement dans un nouvel article du Mémorial de 1880 :
"La Loire fait en ce moment quelque chose de très intelligent et de très pratique : elle se spécialise, Firminy, Saint-Chamond, Rive-de-Gier s'adonnent exclusivement à la fabrication très lucrative du blindage , du canon, de l'essieu, du ressort, etc. Adieu les fortes productions de métal, qui n'ont du reste donné que des déboires".
En 1896, la Statistique de l'Industrie minérale indique une production d'acier d'1,2 Mt. en Lorraine, alors que la Loire ne fabrique que 82000 t. Mais cette production, désormais issue à 96 % des fours Martin-Siemens, n'est composée que de produits de haute valeur.