La métallurgie de la Loire à l'Exposition de 1878 : entre le fer et l'acier

Par Thierry Veyron, conservateur du patrimoine

Le support de ce travail est le livre de l'ingénieur Francis Laur, Les Lettres d'un Stéphanois à l'Exposition Universelle, paru à Saint-Etienne en 1880. Le volume rassemble la correspondance que Laur a adressée au Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire pendant l'été 1878, en tant qu' envoyé spécial à l'exposition. Bien que l'auteur s'intéresse  à tous les produits présents au Champ de Mars et au Trocadéro - des cigares de la Régie aux poissons séchés de Norvège - il insiste particulièrement sur ceux de l'industrie ligérienne, et notamment sur ceux de la métallurgie qu'il connait bien et leur consacre 128 pages sur les 514 que comprend le document.

On considère généralement que l'exposition de 1878 marque la fin de la période de recueillement consécutive à la défaite de 1870-71 : la France qui a pansé ses plaies et est en passe de rénover son appareil de guerre accueille à nouveau les nations étrangères au coeur de Paris et expose, non sans fierté les produits de son industrie, ainsi que l'exprime Laur :

"Car c'était la France - qui devant le monde entier assistant à ce spectacle par les yeux de ses innombrables visteurs - célébrait le succès de sa merveilleuse exposition, c'est à dire la plus admirable victoire, celle de la paix ; la plus glorieuse revanche, celle du travail. Hier écrasée et ruinée, aujourd'hui rayonnante d'ardeur et d'orgueil, à quel heureux vainqueur cette vaincue ne porte-t-elle pas aujourd'hui envie ?"

1878 est une date clé à de nombreux égards : la crise de mai 1877 a affermi le régime républicain et éloigné les incertitudes intérieures ; au plan militaire un nouveau système de fortification, la rénovation de l'armement terrestre (canons de Lahitolle et de Caron de Bange, en acier, chargés par la culasse), la mise en place de la conscription et un énorme effort budgétaire (38 % en 1872) réduisent la disparité des forces avec l'Allemagne. Au plan proprement métallurgique 1878, c'est la maturité du procédé Martin-Siemens, qui permet de produire avec précision toutes les nuances d'acier, notamment celles qui sont nécessaires aux industries de guerre. L'antidote, en quelque sorte, à la découverte par Thomas et Gilchrist du convertisseur basique, qui va permettre d'affiner les fontes phosphoreuses. Cette découverte, précisément datée de 1878, va faire de l'acier doux un métal de grande consommation et de la France, qui dispose en Lorraine du plus vaste gisement de fer d'Europe, une très grande puissance métallurgique. La promotion du minerai lorrain va modifier la carte industrielle dès 1882 et accentuer la spécialisation de la sidérurgie du centre. Une année pré-révolutionnaire donc !