Etrangers donc suspects ?
Dès ses premiers jours, la Seconde guerre mondiale a replongé la Pologne dans la nuit de l'oppression. Or l'attitude des gouvernements de la France dans les années qui précédèrent la déclaration et durant l'occupation n'a pas été sans créer des désillusions.
C'est d'abord la crainte des menaces hitlériennes qui, après Munich (octobre 1938), conduit à un certain abandon des promesses : que l'on se rappelle le fameux article Faut-il mourir pour Dantzig ? publié par Marcel Déat dans L'Oeuvre le 4 mai 1939 ! C'est ensuite l'inaction des Français et de leurs alliés britanniques qui laissèrent la Wehrmacht écraser l'armée polonaise en septembre 1939 sans même tenter une opération de diversion sur le "front" ouest. Avec la défaite, vinrent les lois de Vichy contre les travailleurs étrangers, qui valurent aux Polonais d'être intégrés dans les Groupements de Travailleurs Étrangers, puis dans l'organisation Todt. N'oublions pas les lois de persécution de Vichy, le statut des Juifs (beaucoup de Juifs stéphanois étaient d'origine polonaise), la déportation, la vie cachée des enfants menacés (comme Charles Fiterman).
Nombreux sont les Polonais qui ont participé à la lutte contre le nazisme. Dans leur pays bien sûr mais aussi en France. Les trois itinéraires qui suivent en sont de vivantes illustrations.
Kazimierz Szajdek : de Rzeszow à Saint-Etienne (1905-1941)
Kazimierz Szajdek est né le 4 mars 1905 à Rzeszów, ville située dans le sud-est de la Pologne (160 km à l'est de Cracovie). Fils de Eufrozyna et Józef Szajdek, il avait deux frères - Antoni et Léonard - et une soeur : Zofia. Au cours de ses études secondaires, au lycée Bolesaw Chrobry à Gniezno (près de Poznan, en Pologne occidentale), il adhère à l'Organisation de la jeunesse lycéenne (TTZ) et désire ardemment prendre part à la construction de son pays enfin renaissant.
Titulaire du baccalauréat en 1923, Kazimierz Szajdek entre à l'université de Poznan, il en sort en 1927 diplômé de Droit et d'Economie. Il effectue alors son service militaire qu'il termine en 1928 comme sous-officier à Zambrów.
En 1930 il exerce les fonctions de juge de Paix au Tribunal municipal de Znin. Membre de l'Association de la Jeunesse Démocratique (ZET) à Poznan, il en dirige entre 1934 et 1936, la première université ouvrière appelée Institut de l'Education et de la Culture. Il quitte ensuite la carrière juridique et devient employé dans une brasserie à Tychy (Silésie).
C'est là que le surprend l'invasion allemande du 1er septembre 1939 et la déclaration de guerre, le 3. Il est mobilisé dans l'armée polonaise. Après la défaite de l'armée polonaise, il parvient à échapper à la captivité en passant en Hongrie puis en Suisse, pour rejoindre en France le camp Tadeusz Kociuszko des Forces Armées Polonaises à Coëtquidan (Morbihan). Dans ce grand camp d'instruction et d'artillerie, l'armée polonaise se reconstitue à partir de la mi-septembre 1939. Il devient le centre où s'organisent les divisions polonaises, qui ont ensuite lutté dans les rangs de toutes les forces armées en occident.
Après la défaite française de juin 1940, comme le camp est liquidé par le gouvernement de Vichy, K. Szajdek se rend dans le Midi de la France, d'abord à Toulouse, puis Alès, Rosières, le Martinet et Argenton-sur-Creuse. Il donne des cours de langue polonaise aux enfants d'anciens émigrés polonais agriculteurs et ouvriers des mines. Le 7 mars 1941, il est officiellement démobilisé. C'est alors qu'il s'installe à Saint-Etienne, étant nommé chef de la Résistance Polonaise (le POWN : Polska Organizacja Walkio Niepodleglosc - Organisation Polonaise de Lutte pour l'Indépendance) pour les départements de la Loire et Haute-Loire auprès des Forces Françaises de l'Intérieur (FFI) dans la lutte contre l'occupation allemande, tout en assumant les fonctions de secrétaire de l'Union Centrale des Polonais.
L'itinéraire de Roman Nowazyk (1922-2005)
Roman Nowazyk est né le 30 juin 1922 à Essen-Barbeck (Allemagne). Venu en France à une date indéterminée il s'embaucha comme ouvrier dans les mines de Roche-la-Molière.
Il a 18 ans en 1940 lorsqu'il décide de répondre à l'appel du général de Gaulle et, par ses propres moyens, rejoint la Grande-Bretagne en passant par l'Espagne. Engagé dans les SAS (Blindés) il fait toutes les campagnes des Forces Françaises Libres. C'est l'Afrique du nord, l'Italie, la France et l'Allemagne. Rentré en France à la fin de la guerre, il reprend son métier de mineur.
Décédé à Roche-la-Molière le 17 février 2005, Roman Nowazyk était titulaire du Rubbon for War Medal britannique, de la Croix de Guerre Italienne et de la Croix Française du Combattant.
N.b. informations collectées à partir de l'Etat civil de la ville de Firminy (acte de décès n°7 du 18 février 2005), du témoignage de M. Sommacal, président de la Fédération de la Loire de l'ARAC (19 février 2005) et du Foreign & Commonwealth Office, Honours secretariat référence TXM 395/005 en date du 18 décembre 2000.
L'itinéraire de Juliana Goral
Julianna est née le 22 mars 1909 à Ostrinka en Pologne au sein d'une famille nombreuse de cinq enfants. Peu fortunée, elle part seule, sans ses parents, à l'âge de vingt ans, travailler en France en qualité de femme de ménage. Installée en Indre-et-Loire puis à Lyon, elle rencontre son mari Valentin Goral qu'elle épouse le 19 décembre 1935. Mineur, Valentin emménage avec Julianna à Saint-Etienne en 1939. Appréciée de ses anciens employeurs, elle trouve sans difficulté un travail chez un notaire stéphanois rue Victor Hugo. Adhérente au Parti communiste, elle milite aux côtés de nombreux de ses compatriotes dans la Résistance.
L'attaque allemande de la Pologne et l'invasion de la France par l'Allemagne nazie l'amènent très rapidement à opter pour un engagement résistant. Pour Julianna et son mari, défendre la France répondait à un devoir. Nous sommes en France, nous mangeons du pain ici, notre terre est maintenant ici, nous sommes presque chez nous. Alors notre devoir est de défendre la France, c'est le pays ou nous vivons. Le premier contact avec la Résistance s'établit dès 1940. C'est à cette époque que Julianna et son mari sont sollicités par un responsable polonais de l'organisation MOI : Petroïski (pseudo "Maurice"). Dès l'automne 1940 Julianna abrite chez elle, rue du Coin à Saint-Etienne, une ronéo qui lui permet d'imprimer contre l'envahisseur. Elle distribue des tracts en ville. Rapidement, le groupe auquel elle appartient se structure autour de trois responsables : son mari Valentin Goral (pseudo "David"), Petroïski et un italien Barthélémi. Sous le pseudo de "Madeleine", Julianna fait office d'agent de liaison. Elle agit sur trois départements : Loire-Rhône-Allier. À ses côtés, quatre autres femmes polonaises résistent elles aussi. Ses déplacements l'amènent à Vaulx-en-Velin, Lyon et Villeurbanne. C'est au retour de l'un d'eux qu'elle réalise un acte intrépide : elle dérobe une mitraillette à un militaire allemand qui s'était assoupi dans un compartiment du train. De retour chez elle, son mari et Petroïski l'attendaient. A la vue de l'arme ce dernier lui reprocha d'avoir pris un risque inconsidéré ne correspondant à aucun ordre.
Des risques, Madeleine en prit de nombreux autres quand elle dut récupérer des bâtons de dynamite et des détonateurs pour explosif. Elle ne sera pas inquiétée jusqu'au 18 décembre1942. A cette date, son mari est arrêté au Chambon-Feugerolles. Le soir même, la maison de Julianna est encerclée par la Milice. Menottée, elle est conduite au commissariat central de Saint-Etienne où elle est incarcérée, interrogée et brutalisée: Ils me prirent les cheveux et me frappèrent la tête contre les murs. Je leur criais d'arrêter car j'étais enceinte de quatre mois. Ils poursuivirent, me déshabillèrent et m'attachèrent à une chaise puis me tapèrent le ventre. À mes protestations, ils répliquèrent par de nouveaux coups et prononcèrent cette phrase odieuse "Espèce de vache, tu vas faire ton veau ici". Au terme de l'interrogatoire Julianne est internée à la maison d'arrêt de Bellevue où elle fait une fausse couche. Le 22 mai 1943, alors qu'elle n'a toujours pas été jugée, elle est transférée à la prison Saint-Joseph de Lyon. En juillet, elle est amenée à Romainville, elle quitte ce camp de transit pour arriver le 1er août en Allemagne. Déportée au camp de concentration de Ravensbrück, elle connaît ensuite celui d'Auschwitz puis les mines de sel de Bendorf et de Neuengamme. Après de multiples souffrances, Julianna Goral est revenue en France le 14 juillet 1945. Son mari Valentin Goral n'est pas rentré de déportation. Quelques mois après sa libération, Julianna a obtenu la nationalité française.