Conclusion : former des employés modèles et des "ouvriers-citoyens"

Il apparaît ainsi que l’engagement d’Etienne Mimard au service de l’enseignement professionnel, souvent célébré et présenté comme un modèle, n’est pas aussi simple et linéaire qu’on pourrait le croire à première vue. Si avant lui Pierre Blachon fut un véritable militant de la formation ouvrière, animé par le souci de créer dans la région stéphanoise un vivier d’ouvriers qualifiés, l’action de Mimard semble inscrite dans un faisceau de motivations complexes, où se mêlent sa vision globale de la société et son projet industriel.

L’éducation est avant tout à ses yeux une chance offerte à chacun, quelle que soit sa condition, de s’élever dans la société ; il croit fermement au progrès par le savoir, et constitue lui-même un modèle parfait de réussite et d’ascension sociale. D’autre part, en dehors même du cadre scolaire, il est convaincu des bienfaits de la transmission des savoirs techniques auprès d’un large public. C’est ainsi que le Tarif-Album n’est pas seulement le support de la commercialisation des produits de la Manufacture, mais une « véritable Encyclopédie pratique et raisonnée »25, où la vulgarisation de la science et de la technique est considérée comme une mission à part entière. Enfin, en encourageant la formation des ouvriers, Mimard entend faciliter l’exercice d’un contrôle de la main d’œuvre au sein de son entreprise. La place qu’occupe dans le texte du testament l’éducation morale et civique des jeunes fait écho à la surveillance exercée sur le personnel de la MFAC : les conduites sociales « déviantes » et les idées « avancées » en matière syndicale et politique font l’objet d’enquêtes pointilleuses et de remarques dans les dossiers des salariés26. Dans une usine-modèle telle que l’a pensée et réalisée Etienne Mimard, il n’est de place que pour des employés-modèles. C’est dans cette logique qu’il faut comprendre son soutien à l’enseignement professionnel : s’il attend de lui qu’il fasse acquérir aux élèves les capacités et les connaissances techniques indispensables à l’exercice de leur métier, il en espère tout autant la transmission des valeurs et des comportements qui feront d’eux « des hommes conscients de leur dignité et de leurs devoirs »27, c’est-à-dire des ouvriers-citoyens au service de l’entreprise et de la société.