L'école dans les baraquements

Témoignage d'Elise Laplace, institutrice à Saint-Etienne à la fin des années 1940.

Le 1er octobre 1948, j'étais nommée institutrice stagiaire à l'école publique de garçons du Soleil. En congé de maternité, je ne pris mon poste qu'à la rentrée des vacances de Noël.

Comme les vacances de Pâques, ainsi les nommait-on, elles duraient dix jours, la Toussaint et Mardi-Gras se contentaient de deux jours.

On allait en classe le samedi toute la journée. Le jour de congé était le jeudi.

L'école avait été totalement détruite lors du bombardement du 26 mai 1944 et sa reconstruction, bien que prévue, n'était pas encore en chantier.

Une partie des classes fonctionnait aux bains douches, une autre rue du Monteil dans trois baraquements disposés en équerre. Dans les deux longeant la rue se trouvaient quatre classes.

La classe de fin d'études deuxième année sanctionnée par le "certif" où exerçait M. Courage, un maître respecté à qui bien des élèves devaient de ne pas avoir subi le sort de leurs camarades de Tardy. Dès que les sirènes hurlant la mort ce 26 mai 1944, avec d'autres maîtres, ils avaient conduit leurs élèves à l'abri au puits des Flaches.

  • La classe de fin d'études première année avec M. Manoha.
  • Un CM2 de M. Fournier.
  • Mon CM2.

Dans le troisième baraquement perpendiculaire à la rue était le bureau du Directeur M. Quenten et la classe où enseignait Mme Béraud.

Malgré les fenêtres de dimensions réduites si l'on pense à celles des classes détruites par les forteresses volantes américaines, je ne me souviens pas qu'il y ait eu de difficultés d'éclairage, pas plus que de problème de chauffage.

Un gros poêle en fonte, posé sur des tôles, entouré d'une barrière de protection répandait une douce chaleur. Je n'ai jamais su qui était chargé de l'allumer et d'assurer son entretien en combustible.

Dans les écoles de campagne, ce travail revenait aux élèves et aux maîtres que je suppléais.

Les élèves ? Il y en avait une petite trentaine pour la plupart fils de mineurs, d'ouvriers métallurgistes. Ils étaient soumis à une discipline stricte.

Notre classe et celle de M. Fournier, contiguës, n'étaient séparées que par une légère cloison de bois. On entendait absolument tout ce qui se passait chez les voisins. On ne pouvait donc pas tolérer le moindre écart.

Il y eut bien des tentatives d'apartés, de rires étouffés mais il suffisait d'un regard appuyé, d'un silence de la maîtresse pour que tout rentre dans l'ordre! D'ailleurs ces enfants étaient obéissants, appliqués.

J'en veux pour témoin, la tenue des cahiers. J'exigeais un travail bien écrit et sans tache, ce qui n'était pas facile pour eux. Il n'y avait pas de crayon bille à l'époque. On utilisait un porte-plume mince, en bois muni d'une plume d'acier- souvent la plume Sergent Major- qu'il fallait plonger dans l'encre violette d'un encrier en céramique, ne pas prendre trop d'encre sinon c'était le pâté assuré, manipuler le buvard rose sans écarter l'encre qui venait de tracer quelques mots.

Le programme comportait des leçons d'écriture. Je me souviens des séquences de calcul de l'après midi : les quatre opérations et calcul mental (il n'y avait pas de calculettes). Lever l'ardoise sur laquelle on avait écrit la réponse à la craie sans toucher le voisin était tout un art, la baisser sans toucher le bureau à cause du bruit, l'effaçer, réclamait de l'attention!

Les cahiers n'avaient pas plus de 40 pages et c'était toute une cérémonie quand on en entamait un nouveau.

Il y avait dans cette classe un leader. Il fut une vraie locomotive qui aida grandement à tirer tous les voyageurs vers un niveau plus que correct. Lui seul partit en 6e, les autres – c'était le choix de leurs parents - suivirent la voie classe de fin d'études, certificat et à la suite apprentissage ou enseignement technique.

Je me demandais souvent en voyant un regard absent à quoi pensaient ces enfants. Ils avaient eu un départ dans la vie tellement difficile. Ils avaient vécu le bombardement dans ce quartier tellement touché. Ils ne pouvaient pas ne pas avoir vu les maisons éventrées, les blessés, les victimes, entendu les cris, les pleurs. Ils avaient aussi pour la plupart subi les conséquences. Même si leurs familles les avaient protégés de la longue et terrible grève des mineurs de 1948 si proche.

J'aimais beaucoup ces enfants courageux, mûris avant l'âge. Sans doute l'ont-ils compris car peu avant le 13 juillet, dernier jour de l'année scolaire, ils m'offrirent un cadeau pour mon petit garçon accompagné d'une lettre collective. Je fus très touchée.

Je ne les ai jamais revus mais souvent je pense à ces enfants du Soleil, jouant toutes nationalités confondues qui, à 20 ans, ont dû vivre d'autres jours terribles, ceux de la guerre d'Algérie, où on envoya leur contingent.

Elise Laplace, mars 2015