Chalmazel-le Supt : première suppléance

Elise Laplace, institutrice à Saint-Etienne et dans les alentours, raconte ses débuts dans la profession en 1945.

Et le 16 janvier 1945, commença, par une suppléance, ma carrière d'enseignante. Un car me mena jusqu'à Chalmazel. J'y arrivai le soir. Pas question de regagner le Supt, il n'y avait pas d'hébergement, la neige était là et la route enneigée. Je couchai donc à l'Hôtel Viallard au bourg.

Le lendemain matin dans la neige et la bise glaciale, je m'engageai dans la coursière qu'on m'avait indiquée. Mal équipée, chaussée de galoches à semelles de bois, en pantalon de golf, le seul pantalon que je possédais (on vivait sous le régime des tickets textile), je m'enfonçais jusqu'aux genoux dans la neige.

Enfin j'atteignis le Supt. La clé de l'école étant déposée dans une ferme, je m'y rendis. Les fermiers furent étonnés de me voir, surpris qu'on m'ait laissée monter de Chalmazel. Ils m'offrirent le gîte et le couvert que j'acceptai bien sûr. Le soir venu, il m'aurait été impossible de regagner Chalmazel. Il avait neigé tout le jour, le vent soufflait et des congères s'étaient formées. Et pendant dix jours, le froid sibérien se maintint.

Je n'eux aucun élève en ce premier jour d'enseignante - jour mémorable! Je fus très étonnée par la classe elle-même. De petites fenêtres éclairaient une dizaine de longs bureaux à quatre places, avec leurs traditionnels encriers en faïence blanche dans lesquels l'encre gelait les jours de vacances d'hiver. Le lendemain, à la nouvelle qu'une maîtresse était là, trois élèves, des grands, arrivèrent à ski! Le premier s'appelait Rimbaud (mon tout premier élève!). Ce fut pour moi une énorme surprise. C'était des skis en bois, fabrication maison, aux fixations sommaires avec de longues lanières. J'appris que M. Martin, le directeur de l'école du bourg, était à l'origine de ces fabrications. Il a, en somme, lancé le ski à Chalmazel. Les mamans n'avaient pas voulu, on les comprend, mettre les petits dans ce vrai temps de Bérésina.

Quant à moi, j'étais un peu décontenancée par cette classe unique ainsi réduite. Que faire? Un Certificat d'Aptitude pédagogique écrit, donné avec le Brevêt supérieur, ne livrait pas la clé du problème, mais les enfants avaient dû faire un tel effort pour venir que je n'avais pas le droit de les décevoir et de les négliger. Je me lançai dans le texte libre, base du travail de français dont j'avais entendu parler. Je m'y trouvai si à l'aise que, pendant toute ma carrière, j'allais travailler dans ce sens. Le mauvais temps persévérant, je n'eus pas d'autres élèves à l'école.

Pourtant il fallut regagner Chalmazel pour trouver le car et rentrer à Saint-Etienne. Et là, ce fut le summum! La route était si mauvaise que le car ne pouvait assurer le service. C'est donc à pied, ma valise à la main, les genoux engelés dans ma montée au Supt, que je dus parcourir les 17 kilomètres qui séparaient Chalmazel de la gare de Sail-sous-Couzan où je pris le train pour Saint-Etienne. Ouf! Je pensais au bureau bien chaud de la Manufacture d'Armes de Saint-Etienne.

"Ô brise du sud, viens boire la neige
Nous sommes tous repus de gel et de verglas"

Ch. D'Orléans

Elise Laplace
Août 2015