Les Lamaizière, architectes à Saint-Etienne

Architectes à Saint-Etienne au tournant du siècle

Les Lamaizière, père et fils, ont marqué le paysage urbain stéphanois. L'activité intense de leur agence a dépassé les limites de la commune et de nombreuses villes françaises conservent encore le témoignage de leur travail : ils ont construit entre 1894 et 1930 un tiers des magasins des Nouvelles-Galeries et en ont aménagé plus de la moitié. Ils ont oeuvré dans de nombreux domaines : maisons, hôtels particuliers, immeubles de rapport, logement social, bâtiments industriels, bâtiments publics, magasins...

Ils étaient " architectes de famille " et construisaient l'usine, l'hôtel particulier ou la villa, l'immeuble de rapport et même le tombeau familial.

D'une famille modeste, originaire du nord de la Saône-et-Loire, Pierre Lamaizière dit Léon entre à 19 ans en 1874 comme dessinateur au bureau d'Architecture de la ville de Saint-Etienne. Il y fait une carrière rapide : en 1879, il est nommé architecte, puis en 1885 architecte en chef de la ville.

En 1880, il avait ouvert une agence, rue Marengo. La réalisation de commandes importantes, pour des capitaines d'industrie entreprenants comme Mimard (1893 : début de la construction de la Manufacture), Brossy, Forest, David et surtout la famille Démogé-Canlorbe fondatrice des Grands-Bazars puis des Nouvelles-Galeries (1894-1895 : construction du magasin de Saint-Etienne) établissent sa renommée.

En 1902, il prend sa retraite de fonctionnaire. Il déménage alors dans un nouveau cabinet plus vaste 5, Place Mi-Carême (Jean Plotton) que rejoint son fils Marcel, son diplôme d'architecte DPLG en poche (17 novembre 1905) après les Beaux-Arts.

Le père et le fils travaillent ensemble ; leurs deux personnalités se complètent : le père, esprit pratique, méthodique, organisé, négociateur, très ferme dans la conduite de chantier ; le fils, artiste, doué pour le dessin, auteur des belles façades ou d'une décoration intérieure raffinée comme La Loire Républicaine, la Condition des Soies, l'aménagement du Palais Mimard, le Château de la Rochedain près de Tours pour la famille Démogé... Ils furent également architectes de la Chambre de Commerce et de la Banque de France.

Mais Marcel meurt à 44 ans le 5 novembre 1923. Son père cède deux ans plus tard l'agence à deux de ses collaborateurs Pierre Mas et Francisque Martin. A la fin de sa vie, il se retire à Annecy où il s'éteint le 23 septembre 1941.

L'épopée des Nouvelles Galeries

Léon Lamaizière dirige en 1894-1895 la construction du magasin de Saint-Etienne rue Gambetta, pour Mme veuve Démogé. C'est alors qu'il fait la connaissance d'Ariste Canlorbe, gendre de Mme Démogé. Nicolas Canlorbe dit Ariste, d'abord employé dans un bazar à Béziers puis à Bordeaux, à Bruxelles enfin à Saint-Etienne, épouse en 1882 la fille de ses patrons Marie Démogé.

Ses qualités sont remarquées par son oncle Justin Démogé à la tête d'une maison de commission parisienne qui alimentait par ses achats les magasins de collègues et amis de province. Ariste Canlorbe resserre les liens entre la centrale d'achat parisienne et les magasins, s'emploie à favoriser la création d'entreprises nouvelles. C 'est ainsi que les Nouvelles-Galeries de Saint-Etienne sont construites.

Fondation de la Société Française des Grands Bazars et Nouvelles Galeries réunis

En 1897, la Société Française des Grands Bazars et Nouvelles Galeries réunis est fondée. Le 20 avril 1899, l'enseigne est simplifiée et devient la Société française des Nouvelles Galeries réunies. Léon Lamaizière entre au conseil d'administration. Le président Ariste Canlorbe meurt en 1916. Son cousin Léon Démogé lui succède.

L'architecte stéphanois, avec la collaboration de son fils à partir des années 1904, contribue au développement provincial de l'enseigne des Nouvelles-Galeries, constructions nouvelles, reconstructions, agrandissements et aménagements, réaménagements : plus de 30 magasins.

Les nombreux dossiers conservés portent témoignage de son rôle de coordonnateur dans tous les travaux d'entretien des magasins ainsi que dans les modernisations successives, tous les dix ans environ, afin de suivre les goûts de la clientèle.

Les Lamaizière ont contribué à une large diffusion du modèle de grand magasin à tourelle d'angle, repris avec des variations à l'infini. L'intérieur s'organise généralement autour d'un grand escalier desservant des galeries éclairées par un ciel vitré. Le mobilier d'exposition des articles destinés à la vente est également réalisé sur les plans de l'architecte.

Le nombre d'étages oscille entre deux et quatre, en plus du rez-de-chaussée et du sous-sol. De manière générale, le sous-sol et les combles sont déstinés aux réserves, le rez-de-chaussée et les étages à la vente, le dernier niveau ayant souvent une partie destinée aux bureaux.

Le vide central est l'élément constant de l'intérieur, ainsi que l'escalier monumental couvert par un plafond vitré. Les ascenseurs apparaissent après les monte-charges, aux alentours de 1903.

La décoration intérieure, dessinée par l'architecte, est plus ou moins riche suivant l'importance de la succursale. Pour Besançon, Biarritz, Dijon..., le salon de thé et de repos, avec parfois même un orchestre, fut la marque d'un magasin fait à l'identique des succursales parisiennes. Les matériaux employés sont le staff, le fer forgé (pour les magasins importants), la mosaïque (pour les entrées), les bois d'acajou, de pitchpin, de citronnier...

Les pierres de Villebois, de Saint-Paul-Trois-Châteaux et des Estaillades, ainsi que la fonte (pour les crêtes), le zinc et plus rarement le fer forgé (matériau assez cher) sont utilisés pour les élévations.

Le mode de composition des façades est plutôt classique ; de grands piliers, suggérant souvent l'emploi de l'ordre colossal, dégagent de larges baies. On peut dire que les élévations sont moins des façades que de larges et vastes entrées, des "façades portails". L'emploi de marquises est presque constant ; la tourelle d'angle est un élément rencontré pour les grands édifices, le pan coupé étant beaucoup plus utilisé.

Ces magasins sont conçus de telle manière qu'ils s'insèrent assez bien dans le tissu urbain, souvent nouveau de la ville, contribuant même à la volonté de magnifier cette dernière, que l'on veut ressemblante à une petite capitale, ayant donc les mêmes attributs que Paris. En effet, Léon Lamaizière a effectué de nombreuses reconstructions suite aux dommages de guerre au moment même où l'on redessine la ville.

En règle générale, les entrepreneurs sont souvent choisis dans la ville même où a lieu le chantier, cependant certains sont restés fidèles à Léon Lamaizière et le suivent sur chaque opération ou presque (Dérobert pour les ossatures métalliques, Lyon ; Martin Aîné, entrepreneur stéphanois de menuiserie ; Bour, ingénieur à Paris pour les ascenseurs ; Induni pour la sculpture...) Les dossiers de pièces écrites nous donnent d'ailleurs une idée de ce que pouvait être l'émulation provoquée lors de l'annonce de l'ouverture d'un chantier.

Les Nouvelles galeries de Saint-Etienne

Mme Veuve Démogé posséde un bazar à Saint-Etienne, donnant 18 rue Gambetta et 11 cours Victor Hugo. En 1894, elle achète à la ville une parcelle libérée par le projet du lycée Gambetta au 15 rue Gambetta, mitoyenne avec un terrain dont elle est déjà propriétaire. Elle charge Léon Lamaizière de réaliser à cet endroit un grand bazar qui prend le nom de Nouvelles Galeries dans lequel elle conserve un appartement au troisième étage.
L'ouverture au public eut lieu le samedi 6 avril 1895. Un premier agrandissement est réalisé en 1898 afin de porter la surface de vente à plus de 3000 m². L'année suivante le magasin de Saint-Etienne est intégré à la Société Anonyme des Galeries de France qui deviendra en 1900 la Société Française des Nouvelles Galeries réunies. En 1912-1913, un important remaniement intérieur (installation d'ascenseur et monte-charges notamment) donne un caractère de modernité au magasin pour lequel Lamaizière dessine le Salon des Modes.

La structure du bâtiment qui doit présenter à la fois un vide intérieur et laisser néanmoins un maximum de place aux marchandises impose une construction en plan libre. L'armature du bâtiment est donnée par les colonnes en fonte, la charpente métallique, le hall central et le ciel vitré destiné à éclairer l'ensemble. C'est ce modèle de grand magasin que les Lamaizière contribueront à diffuser sur le territoire français.
Les entrepreneurs travaillant habituellement avec Léon Lamaizière sont associés à cette réalisation. C'est ainsi que l'on trouve Neyret et Deville pour la maçonnerie, Gorramel pour le fer forgé, la maison Pieron de Paris pour les meubles d'étalage, Bracciano pour les motifs en stuc du mur mitoyen rue Gambetta et l'entreprise Gris pour la fabrication du grand escalier intérieur en bois. Les matériaux habituels sont utilisés pour les maçonneries extérieures : le grès houiller pour les bases et les chapiteaux des colonnes, corbeaux, dalles et corniches ; la pierre blanche de Villebois en taille pour les piles, balcons, avant-corps, épannelages de la sculpture ; la pierre des Estaillades pour le reste de la construction.
Dans les années 1960, le vide central est supprimé afin d'accroître la superficie de la surface de vente ; la façade est couverte d'un bardage métallique, le dôme angulaire est supprimé.

Le fonds d'archives

Le fonds de l'agence Lamaizière a été déposé en 1988 aux Archives municipales de Saint-Etienne par l'architecte Michel Goyet. Il est constitué de 50 000 plans et de 800 dossiers de pièces écrites. Il témoigne de l'activité des architectes Léon Lamaizière (1880-1940), Marcel Lamaizière (1906-1923) et successeurs. Soigneusement conservés en rouleaux ou en liasses dans le grenier de l'agence, les croquis, les esquisses, les projets, les calques, les bleus, les lavis, les brouillons, les notes, les photographies, la correspondance représentent une source essentielle pour l'architecture stéphanoise au tournant du siècle, ainsi que pour l'étude des grands magasins.

Les principales oeuvres stéphanoises
 

Bâtiments d'habitation

Maisons individuelles ou hôtels particuliers


Hôtel David puis "Palais Mimard", 5 place Anatole France - 1893-1894, 1905.

Villa Brossy "Les Agrèves", 1 rue Emile Clermont - 1895-1896.

Maison et atelier Bacciano, 5 rue Denis Papin -1906.

Hôtel Colcombet, rue Lieutenant Morin (ancienne bibliothèque municipale) - 1912 - 1914.


Immeubles de rapport

Immeuble Cote, 2 rue de la République - 1894.

Immeuble Oehler, 20 bis rue de la République - 1895-1896, 1912-1913.

Immeuble Serre, 7 place Anatole France - 1896-1897.

Immeuble David, 1-3 allée du Rond Point -1897-1899.

Immeuble Chapelon, angle place Jean-Jaurès, rue Wilson - 1899-1900.

Immeuble, 57 rue Michelet -1899-1900.

Immeuble Chavanis, 7 rue Louis Braille - 1904-1905.

Immeuble Pansier, rue Pierre Bérard - 1905-1906.

Immeubles modernes, 23 au 29 avenue de la Libération - 1907-1908, 1910-1911.


Bâtiments commerciaux


Nouvelles Galeries, 15 rue Gambetta - 1894-1895, rénovation 1913.

Bar Cote-Bluzet, angle rue St-Jean, place Dorian - 1894.

Hôtel des Arts, rue Saint-François -1896.


Bâtiments industriels


Usine Brossy, rue Gutenberg - 1890.

Usine Forest et Cie, 14 rue Buisson - 1890-1891.

Manufacture Française d'Armes et de Cycles, Cours Fauriel - 1893-1920.

Recette Colcombet, 19 rue de la Résistance, 8 place Hôtel de Ville(Bureau d'Hygiène) - 1894.

Banc officiel d'épreuve, rue Jean Claude Tissot - 1903 (démoli).

Usine La Chaléassière, Leflaive et Bietrix - 1903-1919.

La Condition des Soies, angle rue d'Arcole, rue Elisée Reclus - 1909-1910.


Bâtiments publics et sièges de sociétés


Transformation et agrandissement du Lycée Gambetta - 1893-1895

Hôpital de Bellevue, boulevard Pasteur - 1895-1900.

Hospice de la Charité, rue Badouillère - 1900

Bourse du Travail, Cours Victor Hugo - 1901-1902.

Mairie de Terrenoire -1901-1902.

Projet concours Hôtel des Ingénieurs - 1903-1904 (non réalisé).

La Loire Républicaine, 14 place Jean Jaurès - 1907-1908.

La Société des Houillères devenue Grand Hôtel, avenue de la Libération - 1913-1914, 1923.


Monuments et tombeaux


Monument Dorian - 1905.

Monument Francis Garnier - 1902.

Tombeau Germain de Montauzan - 1903.

Tombeau Bietrix au Crêt de Roc -1913.