Léon Leponce, reporter-photographe (1893-1969)

Une famille d'armuriers belges

Léon Léonard Jean Leponce est né le 1er septembre 1893, place Notre-Dame (aujourd'hui place Chavanelle) à Saint-Etienne. Il porte la nationalité belge.

Son père, Léonard Lambert Leponce est âgé de 32 ans à sa naissance et sa mère Etiennette Simonin de 23 ans. L'enfant porte, de par son père, la nationalité belge. Celui-ci venu de Liège pour former des apprentis dans l'armurerie, fabriquait des fusils de chasse. Il était lui-même fils d'un armurier liégeois. Sa mère couturière était originaire de la Nièvre. Ils se sont mariés à Saint-Etienne le 14 août 1890.

Adolescent, il est inscrit au cours de dessin moyen à l'école des Beaux-arts (de 1908 à 1910). Il fait aussi partie de la chorale La Clé de Sol.

Le 20 mai 1916, il épouse une jeune fille originaire de Balbigny, Jeanne Marie Louise Sagnière, repasseuse et fille d'un menuisier. Dans son acte de mariage, on note qu'il exerce déjà la profession de photographe - il n'a que 23 ans ! Léon abandonne son logement du 15 rue Badouillère pour s'installer momentanément avec son épouse dans une maison sise 16 rue Benoît Malon. Le couple occupe la maison du garde et Jeanne Marie Louise exerce son activité de repasseuse à domicile.

Ils déménagent cette même année (1916) 12 rue Palluat-de-Besset, où Leponce installe définitivement son studio de photographe. Deux fils naîtront de leur union, Ernest le 13 août 1916 et Marcel le 4 février 1920, décédé en 2000. Les enfants iront au patronage Saint-Joseph, rue Victor Duchamp. Durant ces années, il réalise de beaux portraits de sa femme et de ses enfants. Puis leur vie bascule. Sa femme décède le 30 décembre 1930 ; elle est inhumée le 1er janvier 1931 au cimetière du Crêt-de-Roch. Son fils nous a relaté qu'il fit de nombreuses photos des funérailles. C'est la grand-mère paternelle, couturière pour les riches familles stéphanoises, qui s'occupe désormais des deux enfants, Leponce se jetant à corps perdu dans le travail.

Photographe indépendant et photographe de presse

Le photographe indépendant

Dans les années trente, il photographie les 2000 succursales Casino sur toute la France et les oeuvres sociales des Ets Guichard-Perrachon à Saint-Etienne ainsi que les dépôts et magasins stéphanois. Il est alors à son compte, payé au cliché. A cette époque, il fait également des portraits en studio, peut-être au studio Cadé, 4 rue Gérentet, qui existe depuis 1912.

De 1939 à 1941, il travaille pour le studio Philippe Ratais, 5 rue du Chambon et poursuit sa carrière à domicile (au 12 rue Palluat de Besset). En 1942, il apparaît dans l'annuaire. En tant que photographe indépendant, il a également travaillé pour la mairie de Saint-Etienne. On peut encore consulter dans les archives de la ville le dossier et les photographies du reportage sur la statue de Francis Garnier, alors place Jean Plotton livré en 1959.

Le photographe de presse

Son dossier professionnel au Progrès ne le mentionne officiellement qu'à partir du 1er juin 1941. Mais on sait grâce à sa carte d'accréditation (supprimée par la loi du 29 mars 1935 créant le statut de journaliste professionnel) que Leponce débuta sa carrière de reporter-photographe à La Tribune Républicaine en juin 1933. Le 1er septembre 1944, il est embauché par le journal Le Patriote qu'il ne quittera qu'en juin 1956. Ensuite, il est rémunéré par la SOGEP (Société de Gestion d'Edition et de Publicité, groupe régissant l'ensemble des journaux stéphanois).

" ... C'était un bon photographe de presse, les journaux ne l'auraient pas laissé tomber. C'était l'homme qui savait aller où il fallait... Leponce, on n'avait pas besoin de lui demander ce qu'il fallait faire, de lui dire " fais ceci, fais cela ", et puis il ne l'aurait pas accepté d'ailleurs. On l'emmenait sur un métier, une réunion, une manifestation, une fête, n'importe quoi, et on ne s'occupait plus de lui. Lui il faisait ce qu'il voulait, il prenait ses photos, comme c'était lui-même qui les développait, il savait choisir aussi ce qu'il avait fait, c'est pas à tous les coups qu'on réussit une bonne photo, mais on était sûr d'avoir un bon reportage photographique avec lui, c'était son métier, c'était un professionnel. " Camille Pradet

Il part en retraite le 25 février 1961 mais n'abandonne pas pour autant son activité de photographe. Il décède le 2 avril 1969, après avoir photographié une tranche de Ville de presque un demi-siècle.

Un témoin de son époque

Témoin de deux guerres

En 1914-1918, il voulait s'engager dans la cavalerie avec son beau-frère Ernest Sagnière. Mais l'armée française le jugeant trop petit le réforme. Il s'engage dans l'armée belge et commence sa carrière de photographe le 12 novembre 1914. Son permis de photographier nous apprend qu'il se sert d'un Folding bois 13 x 18 de marque Lacour-Berthiot. Malheureusement, nous n'avons pas retrouvé trace des nombreux clichés pris dans les tranchées. Ses états de service lui valent de nombreuses décorations, notamment la Croix de guerre. Il est aussi nommé Chevalier de l'Ordre de Léopold II et Chevalier de l'Ordre de la Couronne de Belgique. Son lieutenant, membre de la famille royale de Belgique, voulait être le parrain de son fils aîné Ernest mais Léon a refusé ! Il reste néanmoins fidèle à ses origines belges, comme membre de l'Union Amicale Belge de Saint-Etienne de 1930 à 1935.

Leponce au Fort militaire de Tournoux

En janvier 1945, il fait un reportage sur l'armée des Alpes, où Maurice Passemard, caporal-chef au fort de Tournoux, a l'occasion de le dessiner, les balles sifflant à ses oreilles.

"Nous avons appris que ce Stéphanois était arrivé. Je ne l'ai pas vu tout de suite car je n'étais pas au fort principal où était le PC mais au fort supérieur. Je me rappelle avoir aperçu ce monsieur avec le capitaine. J'ai immédiatement vu sa tenue avec son chapeau mou de gentleman qui détonnait un peu parmi tous ces hommes en uniforme. Il a participé à une patrouille et les copains ont raconté sa surprise et son inquiétude quand il a entendu siffler les balles à ses oreilles. " Maurice Passemard

Témoin d'évènements historiques

Il est présent pour fixer sur la pellicule les événements historiques :

  • visite du président Albert Lebrun le 22 octobre 1933,
  • visite du Maréchal Pétain 1er mars 1941,
  • visite du général de Gaulle le 28 juillet 1946 et le 5 octobre 1958.

Le 26 mai 1944 et les jours suivants, il parcourt la ville bombardée et saisit avec son appareil photo le spectacle du désastre.

Il est aussi aux fenêtres dans la Grand'rue pour immortaliser la liesse de la Libération de la ville.

L'engagement du reporter

Dès 1929, il est membre du syndicat des photographes professionnels de la Loire et de la Haute-Loire. Il adhère à la CGT, syndicat des journalistes confédérés en 1945, puis à la CFTC en 1961.

Leponce est présent lors des manifestations de travailleurs : fête du Travail, meetings politiques à la Bourse du Travail ou aux Ursules.

En 1947-1948, il fixe dans l'objectif la violence des échauffourées entre les mineurs grévistes et les forces de l'ordre, souvent sous les jets des bombes lacrymogènes. Une pétition signée de 23 journalistes montre leur volonté de rétablir la vérité des faits, tels qu'ils les ont vécus.

" ... Leponce est vraiment présent là où il se passe quelque chose, ... au moment de la grande grève des mineurs en 1948... ça s'est mal passé dans le bassin stéphanois, il y a eu au puits Combefort à Firminy un mort, des arrestations... et pour justifier ces arrestations une certaine version affichée par les pouvoirs publics notamment en ce qui concerne la grosse échauffourée du puits Combefort, version contre laquelle se sont inscrits en faux tous les photographes présents, à commencer par Léon Leponce. " Ce que nous avons vu n'est pas ce que M. le Préfet nous dit. " Cette pétition a été signée par l'unanimité des journalistes et des photographes... Je salue le courage intellectuel de mes confrères de l'époque... ". Jean Tibi

" ... A Firminy, je me trouve dans le no man's land, entre les mineurs et les gendarmes ; dans le feu de l'action, je prends un coup de cross dans le dos, et repars côté grévistes ; ceux-ci sont agressifs et Léon Leponce intervient : " On n'y touche pas ! ". En tant que photographe du journal communiste Le Patriote, il m'a évité des ennuis. " Jo Choupin

Le photographe des Trente Glorieuses

Les années qui suivent la guerre voient le redressement du pays après les années de privation. La France se reconstruit, les Français retrouvent la joie de vivre. Leponce photographie alors des sujets plus légers : grandes fêtes populaires, animations au Vélodrome d'Hiver, foires, manifestations sportives en tous genres, il est toujours là où il faut quand il faut.

La couverture d'évènements sportifs

Son sujet de prédilection reste tout de même le sport : moto-ball, course de côte, cyclisme, fêtes gymniques, football, aviation... tout l'intéresse. Il est membre de nombreuses associations telles l'Aéro-club forézien et vellave, le Sport Motocycliste Forézien, l'Automobile club. Correspondant de Sport... la vie en plein air en 1943, de Ce Soir en 1946, de la Fédération Française de Football, Ligue du Lyonnais de 1958 à 1960, il est le trésorier-fondateur de l'association des journalistes sportifs stéphanois.

On enquête sur Léon : Leponce vu par ses contemporains

Octave Ipcier, Jean Bertail, Gaby Célaquet, Angénieux, Casimir Milszack... des noms bien connus dans le journalisme stéphanois à l'époque où il a exercé. Malheureusement, le temps ou l'éloignement ne nous ont pas permis de tous les interviewer. Nous avons rencontré trois de ses confrères :

  • Camille Pradet, journaliste puis secrétaire général de rédaction au Patriote, entre 1946 et 1958
  • Jo Choupin, journaliste à Soir Express et Dimanche Actualités de 1949 à 1956, à Match (1957) puis Marie-Claire, L'Equipe, et la télévision jusqu'en 1996
  • Jean Tibi, journaliste au Progrès de 1960 à 1983, chef des informations stéphanoises de l'agence AIGLES (Progrès, Dauphiné Libéré)

qui nous ont parlé de Léon.

Léon, une silhouette caractéristique... Connue dans tout Saint-Etienne...

" ...il était connu de tout Saint-Etienne, il avait une silhouette vraiment exceptionnelle, Leponce, du fait qu'il était reconnu au niveau professionnel, il était très respecté, et partout où il allait on le laissait entrer, la police, je ne l'ai jamais vu montrer sa carte de presse, il n'était pas grand, un peu fort, il avait une silhouette assez caractéristique, on le reconnaissait, il ne passait pas inaperçu. Il avait un chapeau, même qu'une fois il l'avait perdu, il était malheureux !... " Camille Pradet

" Léon m'a a appris mon métier ; il faisait ce qu'il voulait à Saint-Etienne, c'était le photographe vedette de Saint-Etienne... l'ASSE... les matches... tout le monde le connaissait... " Jo Choupin

" ... C'était un homme petit toujours coiffé d'un chapeau de feutre cabossé qui visiblement avait fait la guerre de Sécession, la traversée des Rocheuses et la ruée vers l'or, qui était rompu -parlons du chapeau et de l'homme- à toutes les intempéries ; il était vêtu immuablement d'un costume gris avec un pantalon d'une largeur que je qualifierais de confortable : cette silhouette annonçait celle que le dessinateur Pétillon donnera plusieurs dizaines d'années plus tard à son fameux détective gaffeur Jack Palmer... Mais Léon Leponce, lui, c'est tout le contraire d'un gaffeur, pour l'essentiel, c'est un grand photographe. Je ne sais pas ce qu'il a pu donner quand il était photographe à son compte en studio, mais en tant que photographe de presse, c'est un regard d'une acuité tout à fait exceptionnelle." Jean Tibi

Léon et sa voiture, toute une histoire !

" ... Il avait une voiture qui devait être classée monument historique, c'était un collectionneur. Et je me souviens, ça devait être un certain lundi de Pâques où j'étais de permanence de Faits divers, il était lui aussi de permanence et nous sommes tous les deux à couvrir ces faits divers entre Le Bessat et Pélussin. Alors, il y a une différence d'altitude entre Le Bessat et Pélussin. Et au volant de sa voiture, Léon Leponce et moi-même, forcément, nous dévalions du Bessat en direction de Maclas, de Pélussin, et à un moment donné, je lui disais " Léon tu pourrais peut-être, rien ne t'y oblige, freiner avant d'aborder les virages. " Il me répond " non, parce que je garde mes freins pour le jour où j'en aurai besoin ! " Je lui dis " Aujourd'hui, tu n'en as pas besoin, regarde de part et d'autre, il y a encore des murettes de neige, quelques petites plaques de verglas ! "Non et puis tu comprends avec cette voiture que j'ai, il est de plus en plus difficile de trouver des pièces d'origine ! " Jean Tibi

" ... Il avait une vieille voiture, il y en avait qui roulaient dans des DS et lui avait toujours son vieux tacot, il a dû le garder jusqu'à sa mort, et je ne l'ai jamais vu en panne avec sa voiture, ça n'allait pas vite, il ne risquait pas d'avoir une contravention, mais il aimait sa voiture ! Lorsqu'il partait en reportage, il prenait sa voiture, le directeur avait la voiture du journal, mais il n'y avait que lui qui s'en servait, les journalistes n'avaient pas de voiture, il n'y avait que Leponce qui avait sa voiture !... " Camille Pradet

Léon, un regard perçant

" ... Mais si je parle de ce regard, c'est avant tout avec le regard qu'il allait vers le sujet. Imaginez un rassemblement de personnes sur la voie publique parce qu'il y a eu un accident : Leponce glissait sa petite taille, et d'ailleurs devant lui les rangs des badauds s'éclaircissaient, il n'avait pas besoin de demander, il les regardait, j'allais dire d'un ton sans réplique, il les regardait d'une façon telle que les gens s'écartaient. ... Et quand il avait fait sa plaque, il avait une façon de pincer les lèvres comme s'il savourait l'image qu'il venait de prendre, comme d'autres auraient savouré une sucrerie ou un bon vin, et puis alors il lançait un regard au journaliste disant " Je l'ai bien eue celle-là " et puis il se retirait, il appréciait la situation, s'il fallait revenir, il revenait une deuxième fois. Il sortait toujours des photographies qui étaient vraies, qui étaient instantanées, qui n'étaient pas posées, il voyait le moment précis où il fallait faire la photo, 10 secondes ou 10 secondes après, cela ne valait rien... indépendamment de l'anecdote, sa façon de conduire décrit l'homme qu'il était, un vif-argent, il n'avait peur de rien, c'est pas tout à fait le mot... , mais il était un peu comme le chat qui mesure la place pour passer à la largeur de ses moustaches, lui, c'était au regard, ça passait, et il savait à quel moments il pouvait passer. " Jean Tibi

Un sacré caractère

" ... On était tranquille avec lui, ... parce que, quand il faut dire à un photographe telle vue... et puis il ne l'aurait pas voulu d'ailleurs, parce que c'était une tête de cochon ! Il n'avait pas bon caractère. Si on lui avait dit " faut faire ceci et cela... ", " Tu m'emm..., je sais ce que j'ai à faire ! ". Il était bourru, mais d'une gentillesse extrême, très bourru, on lui parlait avec des pincettes, il était très susceptible et il n'acceptait pas qu'on lui dicte son travail : lui, il savait ce qu'il avait à faire, on n'avait rien à lui dire ! Et puis il n'y avait pas besoin de le lui dire d'ailleurs, il le faisait bien ! " Camille Pradet

La photo avant tout

" ... Ses loisirs, à mon avis, c'étaient ses appareils photo, partir en reportage, aller trinquer avec les copains, le café de la presse, le rendez-vous des ouvriers, des journalistes, mais je ne lui connais pas d'autre loisir, il ne partait jamais en vacances : je ne me souviens pas m'être entendu dire " ah mais Léon, il est pas là, il est en vacances. " Camille Pradet

Léon ses " kameras " et ses plaques

" ... Quand il était au Patriote, je le voyais avec un appareil qu'il tenait avec 2 poignées, un viseur quadrillé verticalement, comme les viseurs des mitrailleuses, ça faisait moins de dégâts, heureusement ! Et puis après il a suivi les évolutions mais il lui est resté cette manie de parler de plaques, jamais de pellicules... kaméra, plaque, il avait son vocabulaire bien à lui, la kaméra c'était son appareil, il parlait le langage technique des premiers photographes, kaméra avec un K pas avec un C ! Il faisait sa plaque comme il disait, parce qu'il avait travaillé à l'ancienne avec un trépied... Il gardait la plupart de ses plaques chez lui. J'étais allé le voir un jour rue Palluat-de-Besset, quand j'avais vu cette fortune, non pas financière, mais fortune pour l'historien et je lui avais dit " Léon, il faut prendre tes dispositions, tu n'as pas le droit de laisser partir ça, la valeur marchande ne compte pas, mais c'est essentiel pour l'historien stéphanois... " Jean Tibi