Le Platon

Une chronique extra-vagante de François Maguin.

François Maguin a toujours habité Saint-Étienne. Cet opiniâtre dilettante aime à s'y promener et à en traquer les mystères. Dans ses textes courts, il chronique éblouissements modestes, anecdotes plus ou moins véridiques ou rencontres inopinées. Cette prose, entre rêve et réalité, invite les lecteurs à poser un autre regard sur le quotidien et à approcher toute la magie qui s'y dissimule.

 

Mardi 4 mars 2014

Il est à Saint-Étienne des lieux opaques dont la dénomination ne figure ni sur une plaque, ni sur un plan. Leur connaissance vaut adoubement dans la secte des Vieux Stéphanois et leur emploi mot de passe : "Le Sapeur", "Roassieux", "Les sept chemins", "Le Platon"... Pour ce dernier endroit, on aimerait évoquer une influence lointaine du philosophe grec, imaginer des bois ombreux, où deviser en déambulant, chercher une caverne qui ne serait pas un mythe. Mais la réalité est autre. Ce n’est que la rencontre de six voies qui s’enchevêtrent, au pied du Boulevard Valbenoite et de la rue Jean-Baptiste-David dans le fracas de la circulation. Y passer d’un trottoir à l’autre demande inconscience et audace et le piéton y est espèce menacée. Depuis quelques jours, pourtant, a fleuri, sur le petit bâtiment étroit qui marque l’intersection des rues de la Mulatière et Jean-Macé, un hommage spontané au centenaire du premier conflit mondial. Sur le rideau de fer depuis longtemps baissé s’affiche une silhouette grandeur nature d’un poilu, victorieux et fort en gueule comme les aiment les monuments aux morts rustiques. Hommage pervers ? Dénonciation pacifiste ? Simple naïveté ? Est-il conscient, cet artiste anonyme, que son œuvre s’étale sur la façade d’une ancienne boucherie ?